Révérences
Article paru dans la revue Photos Nouvelles #68
"À travers son œuvre, Isabelle Giovacchini ne cesse d'interroger ce rapport ambigu qu'entretient l'image avec l'écriture et d'explorer la thématique de la trace, de l'empreinte et du reste. Quête du simulacre dans laquelle l'artiste revendique une autre pratique de la photographie, non plus figurative mais expérimentale. Dans la série Révérences, elle s'empare d'un dispositif particulier, le système de notation chorégraphique inventé par Raoul Auger Feuillet en 1700 et détaillé dans l'ouvrage Chorégraphie, ou l'art de décrire la danse par caractères, figures et signes démonstratifs.
Ces chorégraphies, initialement imprimées recto-verso, sont apposées par l'artiste sur des feuilles vierges de papier photographique noir et blanc et exposées à la lumière pendant plusieurs heures. De ce contact prolongé émerge une teinte colorée, mais fanée. Le papier est enfin plongé dans un bain fixateur en occultant l'étape du révélateur. Ne demeurent alors que les vestiges et les figures spectrales des chorégraphies désormais indéchiffrables et impraticables.
En juxtaposant photographie et chorégraphie, dans l'acceptation littérale de ces deux termes, écriture de la lumière et écriture du mouvement, l'artiste court-circuite deux dispositifs jusqu'à l'épuisement. Il s'agit de faire marche arrière, de saisir ce qui déjà, à travers ces partitions, était latent. Ainsi, en prenant la danse pour prétexte, Isabelle Giovacchini nous donne à voir en négatif de véritables photographies baroques, comme s'il avait été possible de restaurer la prolifération des traces de pas à même la poussière, à l'époque de Feuillet, dans leur répétition infinie, rendant d'emblée dérisoire toute tentative de partition et de notation. Les traces étaient déjà là, à même le sol, quand bien même invisibles : elles étaient simplement latentes.
Cette anatomie du mouvement peut ainsi être lue dans la continuité des travaux de Marey ou de Muybridge. En effet, la photographie est hantée par l'impossible mouvement, nécessairement dissout dans la lumière de la pose, au même titre que la démarche de Feuillet, en cherchant par l'écriture à circonscrire le mouvement, s'avérait fatalement déceptive et lacunaire.
Ainsi, en décomposant le dispositif photographique, l'artiste fixe par la lumière et met à nu le mouvement lui-même, pétrifié dans son élan, réduit à ses traces, images latentes issues de la dématérialisation des signes."