Note blanche
BSA 2/2
n°05/734
3ème section du Bureau de la Sûreté des Arts
en charge des enquêtes administratives.
Direction Générale du Renseignement
27 novembre 2011
Objet : l’artiste-plasticienne Isabelle Giovacchini, ses travaux en cours.
Personnalité marquante. Esprit inventif, épris d’exactitude, doté d’une profondeur enjouée. Arrache régulièrement la photographie à ses rentes de situation, à son formalisme esthète.
Modus operandi : l’image, mais une image hors-temps, qui semble ressortir au champs commun de la trace. La visée ? Une acclimatation élégante à l’ineffable. Effet garanti d’ébranlement sur la langue. Mots chancelants, pouvoir de désignation critique mis à mal, le concept ne permettant plus d’écouler la surprise. Grande ingéniosité d’un dispositif visant à déniaiser la représentation, à en relever les seuils. De l’avis du Comité de vigilance des Lettres, Isabelle Giovacchini ressuscite Hölderlin en composant son propre répertoire de pallaksch visuels, sortes de mise à nu du voir subvertissant les conventions sémiotiques. Dès lors le visible n’est plus une surface, le visible fait surface.
Pièces à convictions : Phénomène. Du grec phainomenon – « ce qui apparaît ». Sous les flots ondule une ombre, indice de corps. L’image, élaborée d’après une note journalistique sourcée renseignerait sur l’existence d’un cétacé solitaire émettant une fréquence de chant inaudible à ses congénères. En vain, l’animal appelle. Pour s’en convaincre voir la planche-contact, sorte de skiagraphè, d’écriture testimoniale de l’ombre creusant et surfaçant le silence. À cela près qu’un jet de lumière fait irruption sur le dernier film, concluant les modulations de l’ombre à la façon d’une assonance venue donner au poème sa soudaine force de percussion. L’éclaircie dénote-t-elle le chant, son moment panique incandescent ? Peu importe dès lors qu’elle ancre dans le regard les conditions de l’écoute.
2ème vue : Précipité. L’empreinte d’un pigeon qui a percuté de plein fouet la surface d’une verrière. Les contours de l’oiseau, son volume écrasé jusqu’à la cornée de l’œil possèdent la netteté intemporelle, spectrale, du photogramme. Transfert, dermographie anecdotée de l’accident si l’on veut. Mais encore, donation de la lumière s’autographiant elle-même, rejouant son origine sur une plaque sensible de hasard. Mieux : portrait de l’autoportrait de la photographie en auto-expression libre. Question - si l’écriture de la lumière n’est pas de la main de l’homme, la photo d’Art n’est-elle pas une imposture ?
3ème vue négociée de l’étrange : Les âmes mortes. Un bulbe de tulipe germé, reproduit en négatif sur une plaque de verre. Brique-témoin, constitutive d’une serre horticole future carrelée de plaques identiques, toutes destinées à être insolées. Le moment de l’inversion des valeurs d’ombre et de lumière quand le soleil frappera le motif est aussi celui de son effacement lent sous l’action dissolvante des photons. Ici, le paradoxe recouvre une procédure d’anamnèse, la résurgence d’un conflit de l’Histoire oblitéré par la mémoire collective. La lumière, instance de révélation de l’événement est aussi celle de sa remise progressive au néant, comme pour permettre d’en éprouver le manque. Une serre pour permettre à l’absence d’avoir lieu. Une serre pour faire signe sans se reposer dans la figure du signe.
4ème vue : à nouveau le soleil, sa Leçon de ténèbres. Éclats, influx, ivresses musicales de l’astre. Au fil des stills, la danse circulaire des halos fait sourdre la fascination. La réplication et la répétition imagent la pulsation, battement tactile, indice de présence réelle permettant ici un paradoxal et palpitant retour en grâce de l’aura, fi de l’enseignement benjaminien. Leçon de ténèbres, soleil d’Austerlitz d’Isabelle Giovacchini défixant victorieusement les normes, permutant les signes, se jouant de leurs rapports d’identité, d’équivalence, de déduction ou d’induction pour déployer l’espace de la nomination et manifester l’irruption d’un nouveau régime du voir.
De toute évidence, l’artiste vérifie que nous sommes aveugles et achève de nous en convaincre. Indice de la menace ? Élevé. Action recommandée : aucune relâche dans la surveillance.
Personnalité marquante. Esprit inventif, épris d’exactitude, doté d’une profondeur enjouée. Arrache régulièrement la photographie à ses rentes de situation, à son formalisme esthète.
Modus operandi : l’image, mais une image hors-temps, qui semble ressortir au champs commun de la trace. La visée ? Une acclimatation élégante à l’ineffable. Effet garanti d’ébranlement sur la langue. Mots chancelants, pouvoir de désignation critique mis à mal, le concept ne permettant plus d’écouler la surprise. Grande ingéniosité d’un dispositif visant à déniaiser la représentation, à en relever les seuils. De l’avis du Comité de vigilance des Lettres, Isabelle Giovacchini ressuscite Hölderlin en composant son propre répertoire de pallaksch visuels, sortes de mise à nu du voir subvertissant les conventions sémiotiques. Dès lors le visible n’est plus une surface, le visible fait surface.
Pièces à convictions : Phénomène. Du grec phainomenon – « ce qui apparaît ». Sous les flots ondule une ombre, indice de corps. L’image, élaborée d’après une note journalistique sourcée renseignerait sur l’existence d’un cétacé solitaire émettant une fréquence de chant inaudible à ses congénères. En vain, l’animal appelle. Pour s’en convaincre voir la planche-contact, sorte de skiagraphè, d’écriture testimoniale de l’ombre creusant et surfaçant le silence. À cela près qu’un jet de lumière fait irruption sur le dernier film, concluant les modulations de l’ombre à la façon d’une assonance venue donner au poème sa soudaine force de percussion. L’éclaircie dénote-t-elle le chant, son moment panique incandescent ? Peu importe dès lors qu’elle ancre dans le regard les conditions de l’écoute.
2ème vue : Précipité. L’empreinte d’un pigeon qui a percuté de plein fouet la surface d’une verrière. Les contours de l’oiseau, son volume écrasé jusqu’à la cornée de l’œil possèdent la netteté intemporelle, spectrale, du photogramme. Transfert, dermographie anecdotée de l’accident si l’on veut. Mais encore, donation de la lumière s’autographiant elle-même, rejouant son origine sur une plaque sensible de hasard. Mieux : portrait de l’autoportrait de la photographie en auto-expression libre. Question - si l’écriture de la lumière n’est pas de la main de l’homme, la photo d’Art n’est-elle pas une imposture ?
3ème vue négociée de l’étrange : Les âmes mortes. Un bulbe de tulipe germé, reproduit en négatif sur une plaque de verre. Brique-témoin, constitutive d’une serre horticole future carrelée de plaques identiques, toutes destinées à être insolées. Le moment de l’inversion des valeurs d’ombre et de lumière quand le soleil frappera le motif est aussi celui de son effacement lent sous l’action dissolvante des photons. Ici, le paradoxe recouvre une procédure d’anamnèse, la résurgence d’un conflit de l’Histoire oblitéré par la mémoire collective. La lumière, instance de révélation de l’événement est aussi celle de sa remise progressive au néant, comme pour permettre d’en éprouver le manque. Une serre pour permettre à l’absence d’avoir lieu. Une serre pour faire signe sans se reposer dans la figure du signe.
4ème vue : à nouveau le soleil, sa Leçon de ténèbres. Éclats, influx, ivresses musicales de l’astre. Au fil des stills, la danse circulaire des halos fait sourdre la fascination. La réplication et la répétition imagent la pulsation, battement tactile, indice de présence réelle permettant ici un paradoxal et palpitant retour en grâce de l’aura, fi de l’enseignement benjaminien. Leçon de ténèbres, soleil d’Austerlitz d’Isabelle Giovacchini défixant victorieusement les normes, permutant les signes, se jouant de leurs rapports d’identité, d’équivalence, de déduction ou d’induction pour déployer l’espace de la nomination et manifester l’irruption d’un nouveau régime du voir.
De toute évidence, l’artiste vérifie que nous sommes aveugles et achève de nous en convaincre. Indice de la menace ? Élevé. Action recommandée : aucune relâche dans la surveillance.
Malek Abbou, novembre 2011