MEHR LICHT
« Mehr Licht! Mehr Licht! » (« Plus de lumière ! Plus de lumière ! »), furent les derniers mots de Goethe, sur son lit de mort. L’anecdote est célèbre, et entretient une ambiguïté qui est celle même du rapport entre le visible et les idées. Le grand penseur des Lumières souhaitait-il par cette injonction accéder à un idéal de connaissance absolue ? Ou simplement, le regard embué par les derniers efforts, réclamait-il que l’on ouvre les rideaux de sa chambre, et que l’on fasse venir la clarté dans l’intérieur trop sombre ?
Il y a pourtant, entre l’obscurité et la lumière, entre la présence et l’absence, une infinité de nuances. On a cru que l’invention de la photographie, au début du XIXe siècle, résoudrait la contradiction absolue entre visible et non-visible. Erreur ! Le médium photographique, outre ses multiples tours de passe-passe illusionnistes, ne montre pas toujours le « ça a été ». C’est plutôt, souvent, le « ce qui pourrait être ».
Art de l’instantané, la photo nécessite cependant un long processus technique. Entre le moment de la prise de vue et l’avènement de l’image, il y a une longueur de temps qui freine les velléités de « geste » artistique. Au cœur du processus, également, la reproductibilité de l’image, et sa dématérialisation potentielle.
C’est sur ces thèmes, entre autres, que se concentre le travail d’Isabelle Giovacchini. Une démarche que l’on pourrait résumer par l’idée d’« image en fuite ». Insaisissable, glissante, comme en avant d’elle-même. Ainsi dans l’exposition Mehr Licht, à l’Espace A VENDRE, l’artiste présente-t-elle une série, Vanishing Points (Points de fuite, 2010), qui montre le nuage formé au moment où un avion passe le mur du son. L’image matérialise un phénomène immatériel, tout en dissimulant volontairement l’appareil responsable, littéralement coupé au montage. Dans about:blank (2008-2009), les images sans matière de toiles enduites percées, à la manière des poncifs des peintres anciens, ne se perçoit que de près. Elle est présente, par soustraction, mais invisible.
Question de point de vue, mais aussi de temps de vue. Isabelle Giovacchini étudie les ciels, éléments impalpables en perpétuel changement. Pour Mehr Licht (2012), série de photos de nuages qui donne son titre à l’exposition, elle force la latence de l’image photographique, exposant pendant plusieurs heures le papier sensible. Ce qui ne devait pas être visible l’est donc, par une aberration technique. Procédé de révélation déviant de la norme, que l’on retrouve dans le prototype de serre Les Âmes mortes (2012), boîte translucide qui met à jour des silhouettes de racines sur plaques de verre, ensevelies par le temps – et qui, si l’œuvre était réalisée à échelle 1/1, laisserait voir le ciel au travers.
Un ciel découpé d’ombres, comme celui que l’artiste figure, éclaté en mille fragments, dans L’Ombre du ciel (2012) – expression empruntée à une technique de filtre inventée par Eadweard Muybridge : des éclats de verre noir reflétant, si disposés à l’air libre, la lumière du jour et ses ciels instables. Une autre œuvre, série de photographies à tirage unique qui présentent en leur centre un halo lumineux éblouissant, s’intitule Quid Sit Lumen (2010) : d’où vient la lumière ? Elle est parfois ce paradoxe aveuglant qui rend les choses invisibles.
Magali Lesauvage, septembre 2012