L'interview intempestif

Qu'est-ce qui vous fait lever le matin ?
Je suis plus ou moins insomniaque. Ou plutôt à moitié hibou. Le matin est le seul moment où je dors à peu près convenablement. Je me lève par culpabilité de ne pas avoir travaillé de la matinée, persuadée que je vais par conséquent "mettre les bouchées doubles", ce qui s'avère généralement être un échec cuisant.
Que sont devenus vos rêves d'enfant ?
Je voulais dessiner et vivre avec les canards du poulailler familial. Depuis, les canards ont été mangés et je ne dessine plus, excepté une centaine de becs d'oiseaux à l'encre de Chine l'an dernier. C’est un bon compromis.
A quoi avez-vous renoncé ?
La photographie. Pour moi, être photographe, c'était être Karl Blossfeldt ou Timothy O'Sullivan. Je suis arrivée après la bataille, comme on dit. Un peu comme Sullivan photographiant la guerre de Sécession, finalement.
D'où venez-vous ?
Des hauteurs de Nice, d'une famille d'horticulteurs. J'ai vécu 17 ans avec des fleurs jusqu'au cou, des oeillets, des mufliers, des lisianthus, des crêtes de coq. Enfant, mon grand-père habitait un village du Mercantour, composé de seulement deux ou trois familles de bergers, je crois. Ce village avait la particularité de n'être ni français, ni italien, ni piémontais. Ne parlant ainsi ni français, ni italien, ni piémontais, ces villageois avaient inventé une nouvelle langue, en somme. De ce fait, j'ai passé mon enfance à entendre parler un dialecte que seul mon grand-père maîtrisait vraiment et auquel il ajoutait au fur et à mesure des mots fantaisistes. Je crois que ces sonorités indéchiffrables m'ont beaucoup marquées.
Qu'avez vous dû "plaquer" pour votre travail ?
La sédentarité, du moins pour le moment.
Un petit plaisir - quotidien ou non ?
Inventer des mots, les détourner de leur définition usuelle, renommer tout ce qui passe sous mes yeux. Souvent ces expressions me restent, et je les utilise comme si elles appartenaient à la langue française.
Qu'est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
On ne me les a pas tous présentés, donc je ne sais pas.
Où travaillez vous et comment?
Surtout pas dans un atelier. Lentement. En hésitant beaucoup.
Quelles musiques écoutez-vous en travaillant ?
Quasiment aucune. Ca me déconcentre. Ou alors il faut que la musique soit répétitive et systématique. Je me souviens avoir écouté en boucle Kraftwerk lorsque je réalisais une pièce où il était nécessaire d'exécuter toujours le même mouvement. Depuis je n'arrive plus vraiment à écouter Kraftwerk. Plus récemment, je travaillais sur des partitions de danses baroques. J'ai donc écouté pendant un moment de la musique baroque, un peu n'importe comment, au hasard, puis par dérivations je me suis trouvé une étrange marotte : je regroupais tous les Stabat Mater que je trouvais parmi mes mp3 et j'écoutais cette espèce de compilation en boucle comme s'il s'agissait d'un seul et même morceau. C'était stupide, lassant, légèrement abrutissant, j'ai beaucoup aimé.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Les fleurs bleues de Raymond Queneau. J'aurais aimé citer ici la phrase finale de ce livre, je l'ai lue des dizaines de fois mais je l'ai oubliée. C'est dommage, étant donné qu'il s'agit d'une phrase parlant de myosotis ("forget me not" en anglais).
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Une voiture, c'est un lieu ?
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
J'apprécie Rodney Graham, Sigmar Polke, les italiens de l'arte povera, ou encore Marcel Broodthaers, mais je préfère tout de même les pionniers de la photographie : Blossfeldt et O'Sullivan que j'ai déjà cité, mais aussi Marey, Muybridge, les photographies de Terre-neuve de Paul-Émile Miot... En 2007, j'ai visité l'exposition Visions de l'Ouest : Photographies de l'exploration américaine au Musée d'art américain de Giverny. C'est l'une des expositions qui m'a le plus marquée. J'aurais aimé que cette exposition soit mon propre travail. Sinon, je suis une inconditionnelle du cinéaste Terrence Malick.
Qu'aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une adresse.
Que défendez-vous ?
Je n'ai pas l'impression de défendre quoi que ce soit.
Que vous inspire la phrase de Lacan : "L'Amour c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas"?
Je pense aux derniers mots du livre de Thomas Bernhard, Oui : "... et il m'est revenu aussi que, sans transition, et avec toute la brutalité dont j'étais capable, j'ai demandé à la Persane si elle-même se tuerait un jour. Sur quoi elle s'était contenté de rire et elle avait dit Oui." C'est étrange, ce que donnent parfois les associations d'idées.
Et celle de W. Allen : "La réponse est oui mais quelle était la question ?".
Je pense à la réponse que donne au bout de 7,5 millions d'années Pensées Profonde, l'ordinateur super-puissant du livre Le guide du voyageur galactique de Douglas Adams, à "La grande question sur la vie, l'univers et le reste" qui lui est posée :
" — Quarante-deux.
— Quarante-deux ! cria Loonquawl. Et c'est tout ce que t'as à nous montrer au bout de sept millions et demi d'années de boulot ?
— J'ai vérifié très soigneusement, dit l'ordinateur, et c'est incontestablement la réponse exacte. Je crois que le problème, pour être tout à fait franc avec vous, est que vous n'avez jamais vraiment bien saisi la question."
Je suis plus ou moins insomniaque. Ou plutôt à moitié hibou. Le matin est le seul moment où je dors à peu près convenablement. Je me lève par culpabilité de ne pas avoir travaillé de la matinée, persuadée que je vais par conséquent "mettre les bouchées doubles", ce qui s'avère généralement être un échec cuisant.
Que sont devenus vos rêves d'enfant ?
Je voulais dessiner et vivre avec les canards du poulailler familial. Depuis, les canards ont été mangés et je ne dessine plus, excepté une centaine de becs d'oiseaux à l'encre de Chine l'an dernier. C’est un bon compromis.
A quoi avez-vous renoncé ?
La photographie. Pour moi, être photographe, c'était être Karl Blossfeldt ou Timothy O'Sullivan. Je suis arrivée après la bataille, comme on dit. Un peu comme Sullivan photographiant la guerre de Sécession, finalement.
D'où venez-vous ?
Des hauteurs de Nice, d'une famille d'horticulteurs. J'ai vécu 17 ans avec des fleurs jusqu'au cou, des oeillets, des mufliers, des lisianthus, des crêtes de coq. Enfant, mon grand-père habitait un village du Mercantour, composé de seulement deux ou trois familles de bergers, je crois. Ce village avait la particularité de n'être ni français, ni italien, ni piémontais. Ne parlant ainsi ni français, ni italien, ni piémontais, ces villageois avaient inventé une nouvelle langue, en somme. De ce fait, j'ai passé mon enfance à entendre parler un dialecte que seul mon grand-père maîtrisait vraiment et auquel il ajoutait au fur et à mesure des mots fantaisistes. Je crois que ces sonorités indéchiffrables m'ont beaucoup marquées.
Qu'avez vous dû "plaquer" pour votre travail ?
La sédentarité, du moins pour le moment.
Un petit plaisir - quotidien ou non ?
Inventer des mots, les détourner de leur définition usuelle, renommer tout ce qui passe sous mes yeux. Souvent ces expressions me restent, et je les utilise comme si elles appartenaient à la langue française.
Qu'est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
On ne me les a pas tous présentés, donc je ne sais pas.
Où travaillez vous et comment?
Surtout pas dans un atelier. Lentement. En hésitant beaucoup.
Quelles musiques écoutez-vous en travaillant ?
Quasiment aucune. Ca me déconcentre. Ou alors il faut que la musique soit répétitive et systématique. Je me souviens avoir écouté en boucle Kraftwerk lorsque je réalisais une pièce où il était nécessaire d'exécuter toujours le même mouvement. Depuis je n'arrive plus vraiment à écouter Kraftwerk. Plus récemment, je travaillais sur des partitions de danses baroques. J'ai donc écouté pendant un moment de la musique baroque, un peu n'importe comment, au hasard, puis par dérivations je me suis trouvé une étrange marotte : je regroupais tous les Stabat Mater que je trouvais parmi mes mp3 et j'écoutais cette espèce de compilation en boucle comme s'il s'agissait d'un seul et même morceau. C'était stupide, lassant, légèrement abrutissant, j'ai beaucoup aimé.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Les fleurs bleues de Raymond Queneau. J'aurais aimé citer ici la phrase finale de ce livre, je l'ai lue des dizaines de fois mais je l'ai oubliée. C'est dommage, étant donné qu'il s'agit d'une phrase parlant de myosotis ("forget me not" en anglais).
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Une voiture, c'est un lieu ?
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
J'apprécie Rodney Graham, Sigmar Polke, les italiens de l'arte povera, ou encore Marcel Broodthaers, mais je préfère tout de même les pionniers de la photographie : Blossfeldt et O'Sullivan que j'ai déjà cité, mais aussi Marey, Muybridge, les photographies de Terre-neuve de Paul-Émile Miot... En 2007, j'ai visité l'exposition Visions de l'Ouest : Photographies de l'exploration américaine au Musée d'art américain de Giverny. C'est l'une des expositions qui m'a le plus marquée. J'aurais aimé que cette exposition soit mon propre travail. Sinon, je suis une inconditionnelle du cinéaste Terrence Malick.
Qu'aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une adresse.
Que défendez-vous ?
Je n'ai pas l'impression de défendre quoi que ce soit.
Que vous inspire la phrase de Lacan : "L'Amour c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas"?
Je pense aux derniers mots du livre de Thomas Bernhard, Oui : "... et il m'est revenu aussi que, sans transition, et avec toute la brutalité dont j'étais capable, j'ai demandé à la Persane si elle-même se tuerait un jour. Sur quoi elle s'était contenté de rire et elle avait dit Oui." C'est étrange, ce que donnent parfois les associations d'idées.
Et celle de W. Allen : "La réponse est oui mais quelle était la question ?".
Je pense à la réponse que donne au bout de 7,5 millions d'années Pensées Profonde, l'ordinateur super-puissant du livre Le guide du voyageur galactique de Douglas Adams, à "La grande question sur la vie, l'univers et le reste" qui lui est posée :
" — Quarante-deux.
— Quarante-deux ! cria Loonquawl. Et c'est tout ce que t'as à nous montrer au bout de sept millions et demi d'années de boulot ?
— J'ai vérifié très soigneusement, dit l'ordinateur, et c'est incontestablement la réponse exacte. Je crois que le problème, pour être tout à fait franc avec vous, est que vous n'avez jamais vraiment bien saisi la question."