Le fantôme dans la machine
À première vue, l’œuvre d’Isabelle Giovacchini peut paraître insaisissable. Protéiforme, multi support, décalé et singulier, jouant du langage comme d’une image ou des images comme d’un langage, alternant le sérieux de la référence avec l’humour et la dérision, son travail se joue constamment des codes de lecture traditionnels. Alors même que sa démarche semble se présenter au spectateur dans la continuité de l’art dit conceptuel, c’est pourtant de tout autre chose qu’il s’agit. Peut-être même est-ce tout l’inverse qui est en jeu, une tentative désespérée et louable d’en finir avec le discours en art pour réinvestir un certain espace du sensible. Mais il ne faut pas croire que ce soit chose facile, comme s’il suffisait de se taire pour faire silence, de faire « œuvre » d’art pour se voir quitte ainsi du sens et laisser surgir un espace de perception authentique qui ne soit pas de part en part déjà rongé par le langage et les codes discursifs. En toute lucidité, il importe donc pour Isabelle Giovacchini de faire cette épreuve, de se confronter au conceptuel, afin d’expier par un geste spécifique ce qui vient paralyser le geste en général. À cet égard, il serait dommage de ne pas saisir d’emblée la distanciation qu’instaure l’artiste avec le discours (par là même avec son propre discours) à travers la mise en œuvre d’une incroyable parodie du conceptuel [1]. Si, selon l’étymologie, le parodique est ce qui « chante à côté », c’est parce que ce chant, par le dédoublement et la répétition qu’il instaure, simule le mécanisme de l’original afin de le rendre dérisoire. La violence propre à la parodie est alors ce parasitage mimétique qui épuise la signification par saturation et vide le contenu de tout le sérieux qui le définit en tant que tel. Dans une telle contamination de la violence parodique, ni l’art, ni le discours ne peuvent sortir indemnes. On peut ainsi les renvoyer dos à dos, dans la nudité arbitraire de leur prétention.
S’il fallait s’en tenir là, il serait vain alors de vouloir trouver un quelconque message dans cette œuvre qui n’emprunte les codes du conceptuel que pour mieux en dévoiler l’inanité. Pourtant, ce serait passer à côté de la richesse de ces pièces que de ne pas discerner le malaise et l’inquiétude sourde qui grondent à l’arrière-fond de cette parodie et qui en sont le moteur insistant. Pour qui s’y attarde, c’est toujours ici et là un univers froid et méticuleux, confinant au nihilisme, un univers fantomatique et monstrueux de dispositifs stériles, de formes épurées, de forces paralysées, d’empreintes informes et de traces spectrales. Toujours une obsession doublée d’une hantise.
Obsession de la répétition, hantise de la vacuité. Impossible de dire qui de l’une précède l’autre. Ainsi, se manifeste une obsession pour le dispositif technique, pour l’agencement, pour le geste comme procédé articulé et minutieux, producteur et générateur. Ce ne sont pas le produit ou le sens qui importent alors, ni l’image ou le discours, mais le procès de production, la structuration dynamique d’éléments hétérogènes dans leur prétention à se finaliser en cohérence. Et tout aussi bien, c’est la hantise du double, de la trace et de l’empreinte, de la répétition stérile, du parasitage qui vient dupliquer l’origine pour en faire un simulacre [2].
Ce qui hante toutefois ces pièces, ce qui obsède ici l’artiste, ce n’est pas le dispositif technique en lui-même, mais bien plutôt l’aberration qu’il produit lorsqu’il est contre-productif. On connaît le débat classique selon lequel la souveraineté de l’art sur l’objet technique consisterait dans le fait que l’œuvre d’art reste éminemment inutile alors que le produit technique se verrait quant à lui d’emblée asservi à une fonction. Mais cela revient à livrer l’art à l’arbitraire d’une « création » illusoire, comme si on pouvait être aussi facilement quitte de l’efficacité esthétique et du mode réglé de fonctionnement discursif d’une œuvre dans tel ou tel « jeu de langage ». Or, l’envers de l’art n’est pas la technique comme on le croit trop souvent (ce serait faire fi de ce dont témoigne le langage, tant poétique que fonctionnel, téchnè poïétique par excellence) mais l’accident qui fait défaillir l’un et l’autre dans l’indifférenciation, autrement dit l’aberration qui menace dès l’origine toute prétention de production. Il ne faut surtout pas croire qu’il s’agisse là de générer du chaos, bien au contraire. Ce n’est pas l’absence de code qui fait œuvre ici, mais le désœuvrement de toute entreprise de codification livrée à elle-même [3]. N’importe quel mot, phrase ou image, répétés inlassablement, finissent par perdre leur signification pour devenir infonctionnels, aberrations risibles et dérisoires. Ainsi, lorsque, comme ici dans ces pièces, l’accident n’est plus seulement accidentel, mais devient l’essentiel du dispositif, c’est toute la finalité du processus, qui, de traces en traces, de monstruosités en aberrations, se voit désavouée et anéantie [4]. Dans une sorte d’aristotélisme rendu fou, l’œuvre d’Isabelle Giovacchini libère les genres et les espèces, les finalités et les causes, les formes et les matières. Ce n’est donc pas l’absence de finalité ou la gratuité qui meut ici l’artiste, mais une finalité perverse et rigoureusement inversée, un processus qui ne répéterait que son impossibilité de procéder, une reproduction stérile en même temps qu’une reproduction de la stérilité [5]. Il s’agira donc toujours pour Isabelle Giovacchini de prendre l’accident au sérieux, ou pour le dire plus précisément, de n’accorder de sérieux qu’à l’accident, à la condition d’entendre ce dernier comme aberration systématique, et non comme défaillance provisoire.
En effet, l’accident absolu n’est jamais ce moment spectaculaire tant fantasmé, il surgit plutôt de la redondance la plus banale de toute machine ou structure tournant à vide, dans la mise à nue des prétentions, dans le parasitage incessant des limites, des matières et des supports, dans une contamination par l’informe. Ainsi, la déformation des formes, la mise en déroute des signes, la prolifération des codes parodiques, n’ont d’autre but que de désavouer le fantasme d’une présence à soi originelle, d’une cohérence achevée [6]. S’il s’agit d’épuiser les choses par complétude, c’est pour mieux faire surgir l’absence et le vide et pour parodier la prétention à la consistance. Comme si, par un étrange renversement, la parodie ne prêtait plus à rire mais devenait immédiatement inquiétante, dans sa capacité mimétique à hanter toute production, dans sa facilité à produire elle aussi, mais stérilement, c’est-à-dire avec l’avantage de ne pas y croire. En dévoilant ainsi la gestation d’un hétérogène, comme puissance d’insignifiance, au cœur même de l’homogène [7], l’œuvre d’Isabelle Giovacchini ne peut désormais plus s’inscrire dans des limites circonscrites. Quel que soit le support, le médium ou la référence, l’œuvre est ainsi habitée par l’étrangeté d’un non-lieu et donc en premier lieu, par l’étrangeté du support rendu à lui-même, devenu le « corps » désincarné d’une expérimentation aberrante. Ni figurative, ni conceptuelle, la difficulté apparente de cette oeuvre n’est donc pas celle issue de la confusion ou de l’intuition tâtonnante que l’on prête si souvent aux artistes. Au contraire, la confusion est propre à notre regard qui s’attarde encore sur des formes qu’il voudrait abouties, alors que ce qui se montre de manière si protéiforme en apparence, ce qui ne cesse de se présenter de pièces en pièces, c’est la défaillance intrinsèque de la prétention productrice (qu’elle soit technique ou artistique, distinction qui ici n’a plus lieu d’être), la simplicité d’un accident figé dans son accidentalité. Dans ces œuvres, on assiste au processus de création lorsqu’il déraille, et qui, retenu pétrifié au stade de sa production, n’en finit plus alors de dérailler [8]. Ce qui se laisse entrevoir alors, mais qui s’avère pourtant si difficile à penser, c’est cette énigme d’une positivité du rien [9], ce paradoxe d’une stérilité reproductrice, folie cancéreuse d’un code qui ne réfère plus qu’à lui-même, et qui par là même s’avère capable de se reproduire indéfiniment. Il faut donc cette aveuglante limpidité d’un projet obsessionnel, indéfiniment divers, indéfiniment répété, afin d’atteindre le point limite où un protocole agencé avec la rigueur d’un métronome en vient à ne produire de lui-même qu’une aberration [10]. Il faut faire l’effort de suivre ce travail comme une expérience à part entière de l’artiste sur sa prétention à faire et à produire quelque chose qui se nommerait « art », d’accepter par là même le pari d’une démarche protocolaire et d’éprouver les différentes strates sur lesquelles s’expérimente ce combat à part entière. En effet, tout se présente ici de manière déconstructive et régressive, comme un structuralisme en dysfonctionnement si l’on peut dire. Il conviendrait mieux cependant de baptiser ce travail comme protocolaire, à la condition d’ajouter qu’il s’agit d’exhiber ce qu’il y a de dérisoire au cœur de tout protocole, ce qu’il y a de risible dans le sérieux, ce qui menace de dysfonctionnement dans tout fonctionnement finalisé. Art protocolaire et structuralisme du dérisoire, il s’agit bien par cette parodie du conceptuel de cerner cette case vide au cœur de tout système, cette béance de signification qui vient hanter tout processus fonctionnel lorsqu’on en dévoile la finalité réelle. Ni le langage, ni les images ne peuvent prétendre s’en excepter et se voient alors ramenés tous deux à la même source, réduits à la prétention vaine de leur fonction. Il se peut que du bruit [11] à l’information, il n’y ait qu’une différence d’interprétation, simple convention, mais celle-ci ne fonctionne plus dans l’œuvre d’Isabelle Giovacchini. Seule reste la hantise réciproque et contaminante d’un bruit qui s’informe et d’une information qui ne génère plus que du bruit. Au cœur de ce qui dysfonctionne, au seuil d’indifférenciation, il se passe donc quelque chose que l’on oublie de voir, mais dont on peut pourtant récolter les traces évanouissantes et le mouvement propre de l’artiste consiste alors à saisir ce moment dynamique de leur disparition infinitésimale [12].
Travaillant toujours à la marge, dans la charnière entre l’image et le langage, entre la forme et la matière, au plus proche de leur indifférenciation, exhibant des cosses vides, structures stériles et abandonnées, épaves, traces qui ne mènent nulle part, gestes paralysés ou accidentés, c’est moins l’échec initial de toute prétention artistique qui importe pour Isabelle Giovacchini que de restituer dans toute sa splendeur hypothétique un naufrage néanmoins certain, et d’autant plus certain qu’il reste hypothétique. Dès lors, au même titre que l’on a pu autrefois invoquer des « natures mortes », il faut voir surgir ici plutôt des « techniques mourantes », techniques en pleines déréliction, hantés par la complétude et le désœuvrement. Il n’y a donc pas de fantôme dans ses machineries ; ce sont les machines elles-mêmes qui deviennent fantomatiques.
Alors même que l’artiste, traditionnellement, n’a de cesse de vouloir que son « art » fonctionne en tant que tel aux yeux de tous, on peut à bon droit s’interroger sur la possibilité d’un art en dysfonctionnement, d’un art du dysfonctionnement qui réussirait là où il échoue en tant qu’art [13]. C’est cette possibilité singulière et stimulante qu’explore Isabelle Giovacchini. Autrement dit, le cœur de chaque pièce est hanté par la question authentique : à quoi bon faire de l’art ? Peut-être même, plus sincèrement encore, que fait-on vraiment lorsqu’il s’agit de faire œuvre d’art ? Mais il ne suffit pas de se poser ces questions, il faut les éprouver jusqu’au bout, il faut construire la machine parodique, celle qui déraille et nous rend dérisoire. Nul n’est à l’abri de la parodie et de sa violence. Toute prétention peut se voir trahie. Tout langage est réversible en jeu, et tout signifié peut être réduit à son signifiant. Toute forme peut se voir exiger une justification par le vide. Pourquoi quelque chose plutôt que rien ? À quoi bon et pourquoi encore ?
Silence, vide, effacement sont les réponses provisoires qu’apporte Isabelle Giovacchini à ces questions. Il n’est pas sûr qu’il en existe d’autres et la tentation de devenir imperceptible demeure omniprésente. De telles réponses exigent cependant des contraintes sévères. Ainsi s’explique pourquoi ce travail se voit tant obligé par les objets fragiles, les livres, de même que l’attention minutieuse, obsessionnelle, portée aux détails ou aux cadres, au parergon [14] aussi bien qu’au para-texte[15]. Toutes ces normes et contraintes qui s’imposent à l’artiste et non qu’elle s’impose, ne sont pas des artifices de raffinement, ce sont d’abord et avant tout des exigences compulsives de travailler a minima, au plus proche d’un presque-rien, dans la douleur patiente du travail singulier voué par essence à la modestie et obsédé par la tentation du silence.
Raphaël Mandin, septembre 2009
[1] Parmi les nombreuses pièces manifestement parodiques, l’oeuvre Cloués ! se joue ainsi de la prétention artistique en instaurant un code figuratif (le bec) à vocation performative et impérative (imposer le silence, c’est-à-dire « clouer le bec » au discours qui voudrait se surimposer à la figuration).
[2] L’œuvre about:blank consiste ainsi à transpercer le maillage d’une toile afin que naisse l’illusion d’une figuration par déformation de la matière elle-même. Rien n’est ôté ou ajouté, la toile est simplement blessée par ce geste répété qui ne fait que révéler l’inquiétude de tout geste artistique. De telle sorte que ce qui fait œuvre ici ce n’est pas tant le résultat final, dont on récolte seulement l’empreinte ou le symptôme, que la violence originelle latente, infiniment répétée et pourtant occultée, née de l’indissociation entre la matière comme support parodique et du dispositif technique comme geste protocolaire.
[3] Ainsi, l’œuvre de traduction dite Machine philologique se présente comme la parodie de toute entreprise de traduction en appliquant à un texte de Büchner un code redondant et univoque, le plus signifiant qui soit en extension (le mot « machin » qui signifie tout et n’importe quoi) afin de prendre la signification à son propre jeu, puisque c’est alors le sens lui-même, devenu obsédant et dévorant sa propre lettre, qui devient producteur de son insignifiance.
[4] Ainsi, dans le kafkaïen Propositions de constats pour non-accidents de voitures, l’accident devient la norme de la quotidienneté, car le rien, surgissant de son absence omniprésente, exige aussi d’être constaté.
[5] Dans les dessins La reproduction I & II, nous assistons à la reproduction figurative de mantes religieuses (réduites par le procédé du calque à de simples formes désincarnées) saisies dans les trois moments processuels de leur « reproduction » (exhibition, accouplement et mise à mort du reproducteur). Autrement dit, en toute aberration, la reproduction indéfinie du processus de reproduction est hantée par l’échec et la stérilisation du geste reproducteur qu’il soit biologique ou artistique. De même, Les parasites présentent des photographies de guis parasitées par des épingles servant à soutenir l’image. La défiguration de l’image et l’épuisement du sens s’opèrent à nouveau par la mise en déroute et le retournement du processus contre lui-même.
[6] Antécédant toujours son irruption, toujours en attente, maintenu en suspens au cœur même de tout ce qui fonctionne, l’accident est l’imminent, ce qui ne cesse pas de ne pas arriver (par exemple les vidéos Les misères où des animaux sont saisis sur le vif de situations accidentelles dérisoires, pétrifiés dans un cadre, dans une absence totale de justification et de signification fonctionnelle).
[7] Les images des Corps Étrangers exposent en négatif des agrandissements de radiographies, issues de fragments de corps humain, parasités par une intrusion préalable d’un objet hétérogène, exposant ces corps à l’image de leur propre étrangeté.
[8] Ainsi la pièce Ambre où un dispositif photographique, accidenté par un morceau d’ambre, est rendu fou, pris au piège de sa prétention à faire la mise au point au cœur de l’informe.
[9] Comme l’atteste la pièce Miroir noir, où une photocopieuse, « aveuglée » par le reflet de son mécanisme dans un miroir, s’étouffe et s’épuise par saturation dans sa propre représentation. Ce qui nous apparaît comme « lacune » ou « accident » à travers le résultat d’un monochrome noir, manifeste pourtant la vérité même de toute représentation comme réflexion.
[10] Les Ecceirxs de sltye présentent une "traduction" des Exercices de Style de Raymond Queneau à partir d’un code éminemment rationnel (les lettres de chaque mot sont rangées dans l’ordre alphabétique, à l’exception de la première et de la dernière, sans perdre le sens général du texte). Encore une fois, il s’agit ici de rendre dérisoire toute traduction, puisque la désolation du style résulte de l’auto-organisation du code de traduction exposé à sa prétention de complétude et de perfection.
[11] L’empreinte issue d’un disque vinyle, dans Do it again, nous présente l’envers inquiétant de la parodie, exposée ici en tant que telle, dans la reproduction d’un chant désormais dérisoire.
[12] Fendre l’air..., dans un écho à l’œuvre de Marey, présente les traces évanouissantes du mouvement désormais fantomatique d’un pionnier de l’aviation.
[13] À cet égard, les entreprises de traductions autarciques sont symptomatiques (comme celle de The gold-bug, exécutée d’après la nouvelle éponyme de Poe).
[14] Terme signifiant à proprement parler « hors-de-l’œuvre », servant à désigner le cadre et dont l’œuvre Équerres est une étonnante mise en abîme.
[15] À l’exemple de Notes, pièce réalisée d’après Les carnets du sous-sol de Dostoïesvki. La citation et la référence sont autant de clés, d’agents de décloisonnement annonçant l’irruption de l’hétérogène. Mais on peut aussi montrer combien le mécanisme référentiel fonctionne de manière autonome jusqu’à produire des aberrations systématiques, dans une contamination généralisée (voir l’association texte / dessin de la série Bonjou_).
[2] L’œuvre about:blank consiste ainsi à transpercer le maillage d’une toile afin que naisse l’illusion d’une figuration par déformation de la matière elle-même. Rien n’est ôté ou ajouté, la toile est simplement blessée par ce geste répété qui ne fait que révéler l’inquiétude de tout geste artistique. De telle sorte que ce qui fait œuvre ici ce n’est pas tant le résultat final, dont on récolte seulement l’empreinte ou le symptôme, que la violence originelle latente, infiniment répétée et pourtant occultée, née de l’indissociation entre la matière comme support parodique et du dispositif technique comme geste protocolaire.
[3] Ainsi, l’œuvre de traduction dite Machine philologique se présente comme la parodie de toute entreprise de traduction en appliquant à un texte de Büchner un code redondant et univoque, le plus signifiant qui soit en extension (le mot « machin » qui signifie tout et n’importe quoi) afin de prendre la signification à son propre jeu, puisque c’est alors le sens lui-même, devenu obsédant et dévorant sa propre lettre, qui devient producteur de son insignifiance.
[4] Ainsi, dans le kafkaïen Propositions de constats pour non-accidents de voitures, l’accident devient la norme de la quotidienneté, car le rien, surgissant de son absence omniprésente, exige aussi d’être constaté.
[5] Dans les dessins La reproduction I & II, nous assistons à la reproduction figurative de mantes religieuses (réduites par le procédé du calque à de simples formes désincarnées) saisies dans les trois moments processuels de leur « reproduction » (exhibition, accouplement et mise à mort du reproducteur). Autrement dit, en toute aberration, la reproduction indéfinie du processus de reproduction est hantée par l’échec et la stérilisation du geste reproducteur qu’il soit biologique ou artistique. De même, Les parasites présentent des photographies de guis parasitées par des épingles servant à soutenir l’image. La défiguration de l’image et l’épuisement du sens s’opèrent à nouveau par la mise en déroute et le retournement du processus contre lui-même.
[6] Antécédant toujours son irruption, toujours en attente, maintenu en suspens au cœur même de tout ce qui fonctionne, l’accident est l’imminent, ce qui ne cesse pas de ne pas arriver (par exemple les vidéos Les misères où des animaux sont saisis sur le vif de situations accidentelles dérisoires, pétrifiés dans un cadre, dans une absence totale de justification et de signification fonctionnelle).
[7] Les images des Corps Étrangers exposent en négatif des agrandissements de radiographies, issues de fragments de corps humain, parasités par une intrusion préalable d’un objet hétérogène, exposant ces corps à l’image de leur propre étrangeté.
[8] Ainsi la pièce Ambre où un dispositif photographique, accidenté par un morceau d’ambre, est rendu fou, pris au piège de sa prétention à faire la mise au point au cœur de l’informe.
[9] Comme l’atteste la pièce Miroir noir, où une photocopieuse, « aveuglée » par le reflet de son mécanisme dans un miroir, s’étouffe et s’épuise par saturation dans sa propre représentation. Ce qui nous apparaît comme « lacune » ou « accident » à travers le résultat d’un monochrome noir, manifeste pourtant la vérité même de toute représentation comme réflexion.
[10] Les Ecceirxs de sltye présentent une "traduction" des Exercices de Style de Raymond Queneau à partir d’un code éminemment rationnel (les lettres de chaque mot sont rangées dans l’ordre alphabétique, à l’exception de la première et de la dernière, sans perdre le sens général du texte). Encore une fois, il s’agit ici de rendre dérisoire toute traduction, puisque la désolation du style résulte de l’auto-organisation du code de traduction exposé à sa prétention de complétude et de perfection.
[11] L’empreinte issue d’un disque vinyle, dans Do it again, nous présente l’envers inquiétant de la parodie, exposée ici en tant que telle, dans la reproduction d’un chant désormais dérisoire.
[12] Fendre l’air..., dans un écho à l’œuvre de Marey, présente les traces évanouissantes du mouvement désormais fantomatique d’un pionnier de l’aviation.
[13] À cet égard, les entreprises de traductions autarciques sont symptomatiques (comme celle de The gold-bug, exécutée d’après la nouvelle éponyme de Poe).
[14] Terme signifiant à proprement parler « hors-de-l’œuvre », servant à désigner le cadre et dont l’œuvre Équerres est une étonnante mise en abîme.
[15] À l’exemple de Notes, pièce réalisée d’après Les carnets du sous-sol de Dostoïesvki. La citation et la référence sont autant de clés, d’agents de décloisonnement annonçant l’irruption de l’hétérogène. Mais on peut aussi montrer combien le mécanisme référentiel fonctionne de manière autonome jusqu’à produire des aberrations systématiques, dans une contamination généralisée (voir l’association texte / dessin de la série Bonjou_).