Introducing Isabelle Giovacchini
Isabelle Giovacchini distille le temps, l’explore à travers des expériences successives et donne à voir sa fugacité. Elle participe cet été à plusieurs expositions de groupe au CCC de Tours, à la galerie des Filles du Calvaire à Paris et au MAMAC de Nice.
Sur le palier de l’atelier, une table, des projecteurs et des parapluies réflecteurs, car c’est le seul endroit où l’on peut faire le noir. Dans la pièce principale, une piscine gonflable pour tremper des tirages. Sur la rampe d’escalier qui mène à la mezzanine, des clichés sèchent, développés pendant la nuit. Isabelle Giovacchini expérimente et bricole pour réaliser des œuvres dans lesquelles on perçoit toujours quelque chose d’immatériel et d’invisible.
Sur son bureau, la Sonate des spectres d’August Strindberg ; on dirait que le livre vient d’être refermé. Strindberg voulait fixer le ciel sans appareil de photographie, et c’est exactement ce qu’Isabelle Giovacchini cherche à faire. Elle est diplômée de l’école d’Arles, mais faire de la photographie n’est pas vraiment son problème. Ce sont plutôt les déformations, presque les défigurations de l’image qui l’intéressent, comme le suggère l’une de ses premières pièces, Cri, une vidéo qui met en scène une photographie d’Augustine, la patiente « vedette » de Charcot à la Pitié-Salpêtrière. « C’est l’attaque de la crise qui est photographiée », dit Isabelle Giovacchini en utilisant le même mot que pour parler de la photographie comme « attaque » du négatif. Elle a photocopié cette image jusqu’à la faire noircir complètement.
« A partir du moment où une expérience commence à dysfonctionner, en général la pièce est faite », dit-elle. Ses maîtres sont les pionniers de la photographie, Timothy O’Sullivan, Gustave Le Gray, Karl Blossfeldt, JulesEtienne Marey, Eadweard Muybridge,, parce qu’ils tâtonnaient pour inventer leur technique. « J’aurais aimé inventer la photographie. Les peintres s’interrogent beaucoup sur leur médium, les photographes d’aujourd’hui le font moins ; c’est cela qui m’intéresse ». Dans certaines pièces, elle a associé à ces pionniers de la photographie ceux de l’aviation – par un raccourci signifiant. Fendre l’air montre trois photos de planeurs construits par l’aviateur Louis-Ferdinand Ferber ; les longs temps de pause ont dessiné des sillages blancs, des images si volatiles qu’elles deviennent des spectres. Ce sont ces traces ténues, ces instants incertains, ces images d’équilibriste sur un fil qu’Isabelle Giovacchini cherche à retenir.
Appréhender le monde par l’intérieur
Dans sa Sonate des spectres, dont le titre est emprunté à Strinberg, une transcription du texte original en annotations sténo défile dans une vidéo, signe par signe. Mais le signifiant n’opère plus. Le langage avait une place particulière dans les premiers travaux d’Isabelle Giovacchini ; elle s’en est progressivement éloignée. « La vie d’un artiste ressemble à un « Y », il faut souvent choisir entre deux voies ». C’est celle de l’image qu’elle semble aujourd’hui avoir choisie, de l’image comme langage.
Comme elle s’est attaquée à la matière même de la langue, elle appréhende souvent le monde par l’intérieur. C’est le cas avec l’installation Ambre : elle a placé un morceau de pierre mordorée dans une diapositive dont l’épaisseur empêche le projecteur de faire la mise au point automatique ; il s’en suit une sorte de battement, comme une respiration de la pierre et de l’image. C’est peut-être aussi le désir d’entrer dans le cœur de la toile qui l’a conduite à percer de trous, à l’épingle, tous les demi millimètres, une toile tendue sur un châssis de peintre. Le désir également d’entrer dans l’épaisseur du temps par ce geste laborieux. L’œuvre s’intitule about:blank, comme ce qui apparaît sur une page internet quand elle n’existe pas. L’humour discret d’Isabelle Giovacchini se reconnaît bien là, dans un commentaire sur la peinture qui prend des accents d’encodage numérique.
Précipiter le temps
Collectionneuse de la fugacité des choses, Isabelle Giovacchini explore le temps, dans une tentative de le suspendre ou bien de l’étirer le plus possible. La série Vanishing Points montre des nuages fendus en deux dans des ciels bleus. Une photo a été coupée et posée sur une autre, cachant l’image d’un avion entouré du halo qui se crée lorsqu’il franchit le mur du son. Par ces stratifications d’images, un son est donné à voir. On dirait une explosion, une contraction, une disparition.
Il y a parfois chez elle des sujets mortifères ou violents qui sont en général transformés, presque régénérés. Dans la série Corps étrangers, des détails agrandis de radiographies sont transformés en paysages poétiques alors qu’on y voit en réalité des plombs de chevrotine, des prothèses ou des agrafes chirurgicales. Dans Sauter le pas, elle montre un extrait de film du début du 20e siècle, dans lequel Franz Reichelt, un tailleur qui avait construit un costume pour voler, s’apprête à sauter du haut de la Tour Eiffel. On le voit se balancer, hésiter. On imagine sans peine la conclusion de ce fait divers, mais Isabelle Giovacchini le « sauve » de son geste. Elle a également « guéri » des arbres envahis de boules de gui. Au lieu de papillons, elle en a placé la photographie dans une boîte d’entomologiste, et a planté des épingles dans chaque boule de gui, un parasite en détruisant un autre.
Comme une apprentie alchimiste, ou une archéologue en herbe, Isabelle Giovacchini fabrique des précipités de temps. Dans une série récente, elle expose des images à la lumière, posées sur du papier photo destiné au noir et blanc. Elles ont pour titre Mehr Licht, qui sont les mots de Goethe sur son lit de mort. On imaginerait du noir et blanc, mais les empreintes laissées prennent des couleurs rosées. Ce sont des ciels, des mers, des vitraux de Matisse, dans la chapelle du Rosaire à Nice. Dans Mehr Licht (Révérence), une page découpée dans un livre montre des « partitions » de danse baroque. Le recto et le verso se mêlent par un effet de transparence dans une sorte d’image latente et peu lisible qui aurait été trop ou pas assez exposée. Plutôt que de révéler, la photographie semble ici cacher. On imagine des pas de danse comme des traits évanouis qui auraient été tracés dans l’air.
Anaël Pigeat, Art Press #402, juillet - août 2013
Isabelle Giovacchini distills time, exploring it through successive experiments and making its fugacity visible. This summer her work is featuring in several group shows, in the CCC in Tours, the Filles du Calvaire gallery in Paris and Mamac, Nice.
On the studio landing are a table, spotlights and reflectors, because there's nowhere else that can be made dark enough. In the main room is an inflatable swimming pool to soak the prints. Prints developed during the night have been hung out to dry on the stairway leading to the mezzanine. Isabelle Giovacchini experiments and fiddles around to make pieces in which we always perceive something immaterial and invisible.
On her desk is a copy of August Strindberg's Ghost Sonata. The book seems to have just been shut. Strindberg wanted to capture the sky without using a camera, and that's exactly what Giovacchini tries to do. She is graduated of the Arles photography school, but snapping pictures isn't what interests her. She's fascinated by the deformation of the image, almost its defacement, as was already suggested by one of her first pieces, Cri, a video made using a photo of Augustine, Charcot's star patient at the Pitié-Salpêtrière. "The photograph depicts the attack of the crisis," Giovacchini explains. She uses the same word to describe the way that a photo "attacks" the negative. She photocopied this picture over and over until it turned black.
"Starting with the moment when an experiment starts to go wrong, generally speaking, that's when the piece is done," she says. Her models are photography pioneers like Timothy O'Sullivan, Gustave Le Gray, Karl Bloosfeldt, Jules-Etienne Marey and Eadward Muybridge because they fumbled to invent their techniques. "I would have loved to invent photography. Painters are always interrogating their medium, but today's photographer's not so much. That's what I'm interested in." In some of her pieces she brackets these early photographers with aviation pioneers by means of a signifying shortcut. Fendre l'air shows three photos of gliders built by the aviator Louis-Ferdinand Ferber; the long exposure time resulted in white trails, images so volatile they become spectral. These tenuous traces, uncertain instants, images balanced on a razor's edge, are exactly what Giovacchini seeks to capture.
An interior apprehension of the world
In her Sonate des spectres, with its title borrowed from Strindberg, stroke by stroke, a stenographic transcription of the original text flashes by in a video. But the signifier is no longer operative. Language played a key role in Giovacchini's early work, but gradually she moved away from that approach. "An artist's life is shaped like a Y; often you have to chose between two different paths." She seems to have chosen the path of images, of image as language.
Since she works with the raw material of language, she often apprehends the world from the inside. That's the case, for example, with the installation Ambre, where a small stone placed on a slide prevents an autofocus projector from functioning property; the result is a kind of beating, as if the stone and the image were breathing. Perhaps it was a desire to penetrate into interior of canvases that led her to make pinholes, half a millimeter apart, all over a stretched canvas? This laborious process also reflects a desire to penetrate into the thickness of time. The title is about:blank, like the message that appears when a requested Web page doesn't exist. We recognize Giovacchini's discreet humor in this commentary on painting that reminds us of digital coding.
Precipitating time
A collector of the fugacity of things, Giovacchini explores time, seeking to suspend it or draw it out as much as possible. The suite Vanishing points shows clouds split in two floating in blue skies. To make them a photo was cut and placed over another, hiding the airplane surrounded by the nimbus produced when breaking the sound barrier. The stratification of images makes sound visible. It is an explosion, a contraction, a disappearance.
Some of her works involves violent and even mortal images that are usually transformed to the point of regeneration. In her series Corps étrangers, blown-up details from X-ray films are turned into poetic landscapes even though what we are looking at are shotguns pellets, prostheses and surgical staples. In Sauter le pas, she uses footage from an early twentieth-century film showing the tailor Franz Reichelt, who made a flying suit, getting ready to jump from the Eiffel Tower. We see him hesitate and sway. It's not hard to imagine how this will end, but Giovacchini "saves" him from himself. Sha has also "cured" trees menaced by mistletoe. She put the photo in an entomologist's box of the kind where you would expect to find butterflies, piercing each bunch of mistletoes with a pin, so that one parasite destroys another.
Like an apprentice alchemist or a budding archeologist, Giovacchini makes precipitates of time. For a recent series she placed images on photographic paper and exposed to lights. The title is Mehr Licht, the words spoken by Goethe on his deathbed. One might think the result would be in black and white, but the imprints produced are in fact pink. The images are skies and seas from stained-glass windows by Matisse at the Chapelle du Rosaire in Nice? In Mehr Licht (Révérences), a page cut from a book shows Baroque dance notations. The page is transparent and the front and back meld together, resulting in a latent, almost invisible image that seems either under-or-over-exposed. Instead of revealing something, this photo seems to hide it. We imagine dance steps like vanishing strokes traced on air.
Anaël Pigeat, Art Press #402, july - august 2013. Translation: L.S. Torgoff