Effacements, évanouissements, appels
Armée d’une culture impressionnante et d’une sensibilité pointue, Isabelle Giovacchini poursuit une recherche expérimentale des plus poussées. Ses résultats revêtent une beauté (il faut oser le mot) rare. Dans sa « Note d'intention » l’artiste précise : « Bâtie selon une démarche régressive et déconstructive, ma pratique, expérimentale, s’efforce en premier lieu de saisir avec précision le point extrême où il est encore possible d’inscrire une forme, aussi ténue soit-elle, sur une surface. En cela, elle révèle les zones d’aberration des procédés techniques qu’elle convoque et des mécaniques qu’elle intègre ». Toutefois la démarche n’est pas si
« régressive » que l’artiste l’affirme. On préfèrera définir son approche comme transgressive.
Dans ce travail l’aberration n’est jamais fortuite. Elle joue un rôle de capteur d’une indétermination jusqu’au point où l’image ne figure pas et où le discours est réduit à une sorte de silence. Deux de ses premiers travaux l’illustrent parfaitement. Avec son « Miroir noir » (2005) qui donne à voir la psyché dont les deux miroirs ont été photocopiés puis remplacés par les images obtenues à savoir deux monochromes noirs ou si l’on préfère une forme d’absence d’image. La même année l’artiste présentait avec « Notes » la relecture d'un livre dont le texte original est effacé. Ne demeurent que les annotations d’un lecteur antérieur. Ne restent du livre et de son texte que des pages parsemées de traits et parfois un mot griffonné. Mais qu’on ne s’y trompe pas.
Certes l’aspect ludique est bien présent. Mais il a pour but d’explorer l’espace livresque comme le langage. Ce dernier redevient un matériau. Il permet la création de livres « objets » mais dont le but est de faire surgir de paradoxales images- à la texture textuelle. A partir par exemple des « Exercices de style » de Raymond Queneau, du « Scarabée d’or » d’Edgar Allan Poe, des « Carnets du sous-
sol » de Dostoïevski, de « La sonate des Spectres » d’August Strindberg surgissent des œuvres qui prouvent la passion de l’artiste pour la chose écrite mais aussi sa volonté de pénétrer les systèmes de codification. Isabelle Giovacchini les déporte vers un point où le sens est métamorphosé en système d’interrogations insondables et de transgression. « Ecceirxs de sltye » à partir de Queneau est significatif de ce processus. Dans cette œuvre les lettres de chaque mot sont rangées dans l'ordre alphabétique, à l'exception de la première et de la dernière. L’objectif est précisé par l’artiste . « Cela reprend une théorie selon laquelle n'importe quel mot reste lisible tant que sa première et sa dernière lettre restent à leur place ». Quant à sa vidéo « La sonate des spectres » elle propose une double transposition de la pièce de Strindberg. Le texte est retranscrit en sténo. Ils sont intégrés à un montage vidéo de façon à restituer la chronologie du texte.
Tous ces systèmes de croisements et de brouillages entre différents éléments qui appartiennent à l’histoire de la littérature et des médiums ou des matières sont autant de pistes que l’artiste expérimente dans une stratégie à la fois sobre, voire minimaliste qui donne à toutes ses œuvres une impeccabilité saisissante dont le potentiel est immense… Et Isabelle Giovacchini ne cesse de pousser chaque fois le bouchon un peu plus loin. « Révérences » a été réalisé à partir de chorégraphies tirées d’un recueil de danses baroques. L’artiste les a imprimées recto-verso sur des feuilles de papier photographique noir et blanc. Maintenu sous une plaque de verre et exposé à la lumière du jour pendant un long temps de latence, le papier photographique s’est coloré en une teinte violacée au contact de la lumière. Il rend visible l'image latente que l’artiste a ensuite fixée chimiquement afin d’offrir un nouveau ballet visuel à peine visible. Cet effacement de l’image domine en effet l’œuvre. Dans « Quit sit lumen » l’artiste a photographié un musicien jouant de son instrument. Mais les images premières sont quasiment effacées par « maquillages » lors du tirage en laboratoire noir et blanc par un processus manuel.
Quant à la vidéo « Sauter le pas » elle filme la minute qui précède le saut de Reichelt à partir du premier étage de la Tour Eiffel. La vidéo est projetée au-dessus d’un cadre photographique métallique vide. Il n’a ni fond ni verre. Ne demeure que sa structure en haut de laquelle les pieds de Reichelt la touche. Du saut il ne reste là encore qu’une absence dans un autre système d’apparition disparition. Dans une perspective différente la « Machine philologique » se veut la «traduction» du « Woyzeck » dans laquelle tous les noms communs et noms propres sont remplacés par les mots machin ou machine. C’est là un autre moyen de créer le vide, l’ouverture, la béance par effet de « pantonymie ». « Ratages », éclipses, déliés du lié, litanies somnambuliques, lacunes des lignes discursives comme des images présentent ou re-présentent les stigmates d'un Imaginaire en fluctuation, fait, non pour ériger un monde, mais afin de créer un vide, un vide sans langue mais grouillant de langue qu'elle soit plastique ou littéraire. Isabelle Giovacchini sort ainsi la création d'un univers d'apparition pour - au besoin à l'aide de clos et d'aiguilles comme dans la série minimaliste « Cloués ! » et celle intitulée « Les parasites » ! - la mettre en péril au seuil de l'effacement. L'œuvre prend une résonance poétique particulière : elle met en question autant la vue que le sens. Les deux s'ouvrent à quelque chose d'insaisissable. Surgit une impossibilité de certitude, de conclusion, de clôture. Ne demeure qu'un flou. Il rappelle que l'être est floué. Et il entraîne le discours vers le silence même lorsque la parole, imprimée dans le « marbre » jurait (jusque là) de se taire .
Avec l'artiste les mots deviennent ce que Beckett en espérait mais selon un autre principe que l'auteur de "Mirlitonnades" et de "Foirades" : "des mots aux mots sans mots". A ce titre Isabelle Giovacchini est une saisissante déconstructionniste. Dans l'oeuvre, ce n'est plus la dynamique du continuum qui s'impose, mais une sorte de vérité du discontinue, de la charpie. Tout reste dans l'informe et la retombée. Ne demeure que le détachement ironique en cette sorte de simplicité délibérément non insignifiante mais mal signifiante qui est le propre même de la subversion dans l'art. En cela l'œuvre est si détonante, dans ses syncopes et ses lacunes. L'image - telle qu'on l'a conçoit - disparaît au profit des vides. Elle cerne un informe à qui elle donne forme et prouve que le vide est autant dans les mots qu'entre eux. Par ses apories ses aposiopèses visuelles l'artiste pulvérise les figures du visible en une sorte d'abstraction. L'artiste devient cet "ôteur" cher à Prigent là où le tout, en étant, n'est pas ou n'est plus.
« régressive » que l’artiste l’affirme. On préfèrera définir son approche comme transgressive.
Dans ce travail l’aberration n’est jamais fortuite. Elle joue un rôle de capteur d’une indétermination jusqu’au point où l’image ne figure pas et où le discours est réduit à une sorte de silence. Deux de ses premiers travaux l’illustrent parfaitement. Avec son « Miroir noir » (2005) qui donne à voir la psyché dont les deux miroirs ont été photocopiés puis remplacés par les images obtenues à savoir deux monochromes noirs ou si l’on préfère une forme d’absence d’image. La même année l’artiste présentait avec « Notes » la relecture d'un livre dont le texte original est effacé. Ne demeurent que les annotations d’un lecteur antérieur. Ne restent du livre et de son texte que des pages parsemées de traits et parfois un mot griffonné. Mais qu’on ne s’y trompe pas.
Certes l’aspect ludique est bien présent. Mais il a pour but d’explorer l’espace livresque comme le langage. Ce dernier redevient un matériau. Il permet la création de livres « objets » mais dont le but est de faire surgir de paradoxales images- à la texture textuelle. A partir par exemple des « Exercices de style » de Raymond Queneau, du « Scarabée d’or » d’Edgar Allan Poe, des « Carnets du sous-
sol » de Dostoïevski, de « La sonate des Spectres » d’August Strindberg surgissent des œuvres qui prouvent la passion de l’artiste pour la chose écrite mais aussi sa volonté de pénétrer les systèmes de codification. Isabelle Giovacchini les déporte vers un point où le sens est métamorphosé en système d’interrogations insondables et de transgression. « Ecceirxs de sltye » à partir de Queneau est significatif de ce processus. Dans cette œuvre les lettres de chaque mot sont rangées dans l'ordre alphabétique, à l'exception de la première et de la dernière. L’objectif est précisé par l’artiste . « Cela reprend une théorie selon laquelle n'importe quel mot reste lisible tant que sa première et sa dernière lettre restent à leur place ». Quant à sa vidéo « La sonate des spectres » elle propose une double transposition de la pièce de Strindberg. Le texte est retranscrit en sténo. Ils sont intégrés à un montage vidéo de façon à restituer la chronologie du texte.
Tous ces systèmes de croisements et de brouillages entre différents éléments qui appartiennent à l’histoire de la littérature et des médiums ou des matières sont autant de pistes que l’artiste expérimente dans une stratégie à la fois sobre, voire minimaliste qui donne à toutes ses œuvres une impeccabilité saisissante dont le potentiel est immense… Et Isabelle Giovacchini ne cesse de pousser chaque fois le bouchon un peu plus loin. « Révérences » a été réalisé à partir de chorégraphies tirées d’un recueil de danses baroques. L’artiste les a imprimées recto-verso sur des feuilles de papier photographique noir et blanc. Maintenu sous une plaque de verre et exposé à la lumière du jour pendant un long temps de latence, le papier photographique s’est coloré en une teinte violacée au contact de la lumière. Il rend visible l'image latente que l’artiste a ensuite fixée chimiquement afin d’offrir un nouveau ballet visuel à peine visible. Cet effacement de l’image domine en effet l’œuvre. Dans « Quit sit lumen » l’artiste a photographié un musicien jouant de son instrument. Mais les images premières sont quasiment effacées par « maquillages » lors du tirage en laboratoire noir et blanc par un processus manuel.
Quant à la vidéo « Sauter le pas » elle filme la minute qui précède le saut de Reichelt à partir du premier étage de la Tour Eiffel. La vidéo est projetée au-dessus d’un cadre photographique métallique vide. Il n’a ni fond ni verre. Ne demeure que sa structure en haut de laquelle les pieds de Reichelt la touche. Du saut il ne reste là encore qu’une absence dans un autre système d’apparition disparition. Dans une perspective différente la « Machine philologique » se veut la «traduction» du « Woyzeck » dans laquelle tous les noms communs et noms propres sont remplacés par les mots machin ou machine. C’est là un autre moyen de créer le vide, l’ouverture, la béance par effet de « pantonymie ». « Ratages », éclipses, déliés du lié, litanies somnambuliques, lacunes des lignes discursives comme des images présentent ou re-présentent les stigmates d'un Imaginaire en fluctuation, fait, non pour ériger un monde, mais afin de créer un vide, un vide sans langue mais grouillant de langue qu'elle soit plastique ou littéraire. Isabelle Giovacchini sort ainsi la création d'un univers d'apparition pour - au besoin à l'aide de clos et d'aiguilles comme dans la série minimaliste « Cloués ! » et celle intitulée « Les parasites » ! - la mettre en péril au seuil de l'effacement. L'œuvre prend une résonance poétique particulière : elle met en question autant la vue que le sens. Les deux s'ouvrent à quelque chose d'insaisissable. Surgit une impossibilité de certitude, de conclusion, de clôture. Ne demeure qu'un flou. Il rappelle que l'être est floué. Et il entraîne le discours vers le silence même lorsque la parole, imprimée dans le « marbre » jurait (jusque là) de se taire .
Avec l'artiste les mots deviennent ce que Beckett en espérait mais selon un autre principe que l'auteur de "Mirlitonnades" et de "Foirades" : "des mots aux mots sans mots". A ce titre Isabelle Giovacchini est une saisissante déconstructionniste. Dans l'oeuvre, ce n'est plus la dynamique du continuum qui s'impose, mais une sorte de vérité du discontinue, de la charpie. Tout reste dans l'informe et la retombée. Ne demeure que le détachement ironique en cette sorte de simplicité délibérément non insignifiante mais mal signifiante qui est le propre même de la subversion dans l'art. En cela l'œuvre est si détonante, dans ses syncopes et ses lacunes. L'image - telle qu'on l'a conçoit - disparaît au profit des vides. Elle cerne un informe à qui elle donne forme et prouve que le vide est autant dans les mots qu'entre eux. Par ses apories ses aposiopèses visuelles l'artiste pulvérise les figures du visible en une sorte d'abstraction. L'artiste devient cet "ôteur" cher à Prigent là où le tout, en étant, n'est pas ou n'est plus.