A l'ombre du ciel
« Celui qui se consacre à l’étude des nuages est perdu. »
Marcel Beyer
Isabelle Giovacchini est une adepte des sciences inexactes. Toujours son travail – on pourrait dire ses expériences – puise dans les marges de techniques désuètes. Elle emprunte à l’homme de science lorsqu’il est encore dans l’erreur ou l’approximation, là où l’étude et la recherche manquent souvent de basculer dans la poésie, la mystique ou la folie.
Les deux œuvres exposées Chez Robert relèvent d’un dysfonctionnement photographique. L’une est constituée d’un tirage développé de manière incomplète où figure un ciel nuageux. L’autre est composée de fragments de verre noir, brisés et disposés au sol. Le verre noir fait obstacle à une transparence du regard et la brisure ajoute à son impossible usage dans un hypothétique dispositif optique. L’on est doublement empêché de voir.
Le titre de l’installation, L’ombre du ciel, est emprunté à une invention du photographe Edward Muybridge. Il s’agit d’un filtre permettant de palier la différence lumineuse entre le ciel et le sol et ainsi de pouvoir réunir les deux moitiés d’un paysage sur un même négatif. Avant cela les images, comme par exemple les fameuses marines de Gustave Le Gray, étaient composées de deux négatifs assemblés, l’un pour le ciel, le second pour la mer.
La référence remobilise l’invention de Muybridge, mais déplace l’ordre de ses éléments. C’est d’abord le titre qui joue, dans toute sa dimension littéraire et c’est seulement ensuite qu’intervient la question technique. Encore celle-ci est elle mise en échec par l’objet brisé qui vient souligner la réticence du réel à franchir le pas de sa représentation.
Mehr Licht ; idée absurde d’un dispositif capable de produire son ombre rencontre le motif du nuage dont la classification demeure une chimère. L’étude des nuages qui n’a jamais réussi à se constituer en une science se heurte à de nombreux écueils et notamment une mutation constante qui interdit toute modélisation. Ici encore la technique joue comme un élément littéraire : pour le grand tirage mural, l’image exposée a été plongée directement dans un bain de fixateur sans passer par un premier bain de révélateur. L’image reste donc latente, fixée dans l’attente d’une révélation qui n’adviendra pas. Le réel n’a de cesse d’échapper à la technique.
Le motif céruléen apparaît malgré tout, mais étouffé et seulement comme une image au second degré, un cliché pris dans un entrelacs de résonances, de dispositifs incomplets et d’images incertaines. Ce que raconte Isabelle Giovacchini est l’échec attendu de quiconque voudrait regarder le ciel de haut, le glissement de l’éblouissement à l’aveuglement.
Nicolas Giraud, août 2012
" He who is devoted to the study of clouds is lost.”
Marcel Beyer
Isabelle Giovacchini is an enthusiast of the inexact sciences. Her work, which in essence is based on her experiences, draws from the outdated methods of the old world. She is inspired by the quaint man of science, when his results were erroneous approximations, and where study and research were often blurred by poetry, mysticism, or madness.
The two works shown here are photographic malfunctions. One consists of an incompletely developed drawing, depicting a cloudy sky. The other is composed of fragments of black glass, broken and placed on the ground. The black glass is an obstacle to transparency and its shattered state reveals its inability to be used hypothetically as an optical device. Thus, one is prevented from seeing.
Though the title's In the Shadow of the sky is borrowed from Muybridge, it is first and foremost his literary play that is put forth. The technical dimension is thwarted by the broken object that emphasizes the real reluctance to take the step of representation.
Mehr licht is also a chimera, and again, the literary play dominates. The exposed image was immersed directly in a bath fixer without first using the developing bath. The image remains latent, frozen in the waiting, a revelation that will never happen. The real never ceases to escape technique.
Despite it all, the azure motif appears, though it is muffled and displays itself only as an image in the second degree; a photograph taken in a maze of resonances; unfinished devices and vague images. Through her work Giovacchini narrates that though failure is expected, anyone would want to look at the sky above, the inevitable shift to a glaring blindness.
(translation : Arletty Abady)