55e Salon de Montrouge — Isabelle Giovacchini
Maniériste ou virtuose ? Ingénue ou manipulatrice ? Le travail de Giovacchini brouille les pistes dans sa mise en forme même, parvenant à s'extraire du formalisme inculqué à la demoiselle à la hiératique école de la photographie d'Arles dont elle sortie il y a bientôt quatre ans.
En effet le propos d'Isabelle Giovacchini est indissociable d'un propos sur l'image et la représentation. Mais cette préoccupation abstraite s'incarne dans des réalisations mêlant vrais récits et fascinations subjectives, revendiquées par l'artiste et mises en œuvre d'une façon parfois didactique mais visant toujours à transcender la problématique de la représentation et à rattacher les images à des perceptions plus intimes.
Ce souhait de torturer l'image, d'en casser la cohérence première, s'incarne dans des sujets aussi variés qu'incongrus : le monde animal, l'expérimentation scientifique farfelue ; les figures de héros solitaires, en posture d'échec; les notions de démembrement, d'impuissance, de vision parcellaire, d'incommunicabilité... Ses préoccupations contrastent avec son obsession des réalisations impeccables, où les surfaces d'une lisibilité parfaite cachent la complexité des choses, des personnes et des significations. Un amour pour la littérature fantastique et absurde vient parasiter ce propos assez lisible sur l'image, dévoilant un côté spontané assez jouissif et contrastant avec le reste des productions. On sent alors dans certaines œuvres un potentiel de « dérapage », comme lorsque Giovacchini s'accapare un personnage évoqué par un autre artiste dont elle partage l'affiche d'une exposition et en tire une nouvelle érotique étrange convoquant là encore des processus d'apparition et de disparition à la limite de l'ésotérique et de la fable. Son goût pour les anecdotes et la méthodologie scientifique l'amène à détourner des monuments littéraires de façon plastique, dans un rapport de confrontation au texte assez littérale que renforce son respect affirmé pour la forme livre. Le texte introduisant son portfolio est par exemple un dialogue mimiquant une pièce de théâtre où Antonin Artaud, Raymond Queneau et Edgar Poe viennent se pencher sur son ordinateur pour commenter sa mise en forme et son contenu. On notera la totale absence de scrupules de Giovacchini à convoquer ces personnages célèbres dans un objet aussi prosaïque que ce portfolio, ne revendiquant aucun autre statut pour ce texte qu'un éclairage aussi fortuit que gonflé sur sa pratique et s'achevant sur le regret de celle-ci d'avoir oublié, suite à leur disparition soudaine, de leur demander une... lettre de recommandation! Cette imbrication de la conscience la plus triviale du monde réel avec une vision complètement lyrique, fantasque et orientée constitue certainement le nœud crucial de la pratique de cette jeune plasticienne appliquée, à l'œuvre prolifique, sérielle jusqu'à l'obsession.
Dorothée Dupuis, mars 2010